V comme Vaiselle {Mouhahahaaaaarrfff...}







Les Visiteurs arrivent sur Terre avec des intentions qu’ils promettent bienveillantes. Mais l’illusion ne dure qu’un temps ! Bien vite, les événements dégénèrent. L’apparence humaine de ces extraterrestres n’est qu’un leurre et leurs intentions sont loin d’être pacifiques. Face à cette invasion, la résistance s’organise parmi les humains…
Créée en 1983 par Kenneth Johnson (L’homme qui valait 3 milliards, Hulk, Alien Nation), « V » est une série télévisée à cheval entre Histoire et Science-Fiction. L’invasion de la Terre par des Aliens fait écho à la domination des Nazis sur l’Europe durant la Seconde Guerre Mondiale. La série dénonce les mécanismes du totalitarisme, et glorifie les actes de résistance isolés… Elle nous montre finalement que l’Histoire se répète si l’on oublie trop vite…
Aux Usa, le succès fut immédiat
La diffusion de la première mini-série n’était pas achevée que les principaux acteurs – ces inconnus nommés Marc Singer, Faye Grant, Jane Badler … – étaient devenus de véritables «stars» du petit écran, tandis que la presse TV et les suppléments du dimanche consacraient couvertures, articles, interviews, à ce qui allait devenir bientôt un des séries phares des années 80.





Combien de films, de séries TV, de romans découverts et appréciés lorsque vous étiez adolescent, et devenus aujourd’hui autant de souvenirs incertains s’avèrent-ils être tout simplement «irregardables ou illisibles, lorsque vous décidez de les redécouvrir à l’âge adulte ? Tous … ou presque.
V sort du lot. V est toujours à la série de Science-Fiction ce que la trilogie de la Guerre des Etoiles et au cinéma de Science-Fiction : une référence.
Les raisons essentielles de ce «bon vieillissement», ce que l’on pourrait appeler les clés du succès de la série, sont de trois ordres. Soit, en schématisant :
- La «plausibilité» du scénario – qui fait de V un «produit» très grand public,
- Le soin apporté à l’élaboration des personnages ainsi qu’au choix des acteurs,
- la qualité étonnante des effets spéciaux – qui font de V, dans le domaine de la Science-Fiction s’entend, le premier «produit télévisuel» esthétiquement comparable aux films de cinéma.
Voilà une série TV qui est «complètement» de la SF – et non pas cette guimauve «soft» où l’élément SF n’intervient qu’en toile de fond à une histoire d’amour ou à un polar ! Il y a des vaisseaux spatiaux gigantesques, des extraterrestres abominables, de l’hyper-technologie, une mutante, des pouvoirs psy … et l’argument de base est un motif purement SF puisqu’il ne s’agit rien moins qu’une nouvelle guerre des mondes. Mais au lieu d’effrayer les réfractaires à la SF, voilà que V les séduit. Les taux d’écoute le montrèrent : dès sa première diffusion, l’audience de la série dépassa largement l’habituelle clientèle de Star Trek ou Voyage au fond des mers.


PWNED !
PWNED !
 
C’est que l’action de V ne se situe pas à bord d’une station orbitale ou d’un vaisseau spatial en route vers une lointaine galaxie, ni sur une planète exotique et incompréhensible, ni dans un futur éloigné et hyper-technologique, ni dans un passé légendaire … V c’est de la SF avec le label «ici et maintenant» : c’est aujourd’hui même que ça se passe, au coin de la rue, et c’est votre voisin qu’ «ils» emmènent … Alors, à quand votre tour ?
Le parallèle immédiat – et appuyé par le réalisateur et le scénaristes – entre les Visiteurs et les Nazis, fait que la série appartient autant à la SF qu’au récit de guerre conventionnel. Les gigantesques vaisseaux mères ne sont, en définitive, que des portes-avions ancrés au large de nos côtes, les patrouilles de lézards ne diffèrent en rien des patrouilles mises en place par n’importe quel corps expéditionnaire pour contrôler un pays occupé, pour surveiller une population vaincue mais où le germe de la résistance pourrait bien trouver un sol favorable.


-=Visitors Fast Food=-
-=Visitors Fast Food=-
 
L’univers de V est immédiatement accessible au téléspectateur, qu’il possède ou non une «culture» en matière de SF – d’autant que l’esthétique SF est suffisamment présente dans nos sociétés occidentales, le genre a à ce point contaminé le réel, agissant là comme un véritable principe actif, que tout un chacun évolue, qu’il le veuille ou non, dans une ambiance, un décor, un univers qui, bien souvent, empruntent leur substance au fond commun du genre.

Le motif de base est lui-même facilement acceptable et même crédible : après tout, n’avons-nous pas nous-mêmes mené des actions de ce type ? L’Amérique triomphante des années 80 n’a pas le monopole de l’impérialisme, mais elle en maîtrise au mieux les techniques et n’hésite jamais à affirmer sa volonté hégémonique. La domination des pays du Nord – et en particulier des USA – sur le tiers-monde n’est en rien moins odieuse que celle des Visiteurs sur la race humaine; elle est par ailleurs parfaitement banalisée et acceptée – puisque vécue sans grand problème de conscience – par la population américaine.
V ne fait là qu’à peine transposer une situation de fait, bien connue – ce qui ne fait que renforcer la crédibilité de l’argument de la série.



 
 
Pour nombre de commentateurs, le propos essentiel de V – je parle ici des deux mini-séries – est de montrer, sous couvert de Science-Fiction, comment la population d’un pays démocratique et moderne, par exempIe les Etats-Unis d’Amérique, réagirait en cas d’occupation de son sol par une armée étrangère.Le créateur de la série lui-même, Kenneth Johnson, privilégie ce décryptage de ses intentions d’auteur, en déclarant “Il y a déjà quelques années que j’ observe la montée de certains éléments fascistes aux Etats-Unis : la création de milices, et ainsi de suite. J’avais très envie de raconter ce qui se passerait si nous nous retrouvions pour de bon dans un état policier. Et en particulier comment les Américains bien différents réagiraient à une occupation par une armée fasciste, telle qu’en ont connue les Français lorsque les Allemands les ont envahis au début des années 40.” (Entretien avec Ken Johnson, dans l’Ecran Fantastique, juin 1983). 
 


L’intention est louable. Le propos paraît original – pour une série TV s’entend, la Science-Fiction littéraire l’ayant traité à de nombreuses reprises, tant par le biais de l’uchronie (Allemands et/ou Japonais gagnent la seconde guerre mondiale et occupent l’Amérique) que par celui de la politique-fiction (mise en place d’un régime fasciste ou occupation effective par une armée étrangère – citons Sixième Colonne, le roman classique de Robert Heinlein ou It Can’t Happen Here, écrit par Sinclair Lewis en 1935 et que Johnson revendique comme une source essentielle pour la série). Le traitement est ici mené sans restriction ni (auto) censure.
De fait, lorsque les Visiteurs décrètent la loi martiale et prennent le contrôle de la planète, les humains réagissent de manière très différente ; c’est l’entière galerie des sentiments humains qui est alors exposée et toutes les attitudes qui en découlent sont dépeintes : de l’extrême lâcheté à l’héroisme le plus admirable, de la collaboration avec l’ennemi, consciente, raisonnée, voire même justifiée idéologiquement, à l’engagement total dans la résistance et la lutte armée, avec les risques que l’on imagine.


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Il est indéniable qu’une surabondance de signes plaide en faveur de l’assimilation des Visiteurs aux Nazis : qu’il s’agisse de l’emblème de l’ennemi – une Swastika dextrogyre stylisée -, de ses uniformes (Leur pistolet est un Luger revu et corrigé, pour qu’on y retrouve quelque chose de bien allemand, tout comme dans les casques, les uniformes, les bottes et les couvre-chefs. C’est très insidieux.), de sa hiérarchie, des mentions et références faites à son système politique (une dictature) et à son “Leader” (le “Chef” en anglais, le mot “Fuhrer” a la même signification en allemand). La relecture métaphorique de la Seconde Guerre Mondiale se complète tout aussi explicitement par une assimilation entre la communauté scientifique et la communauté Israélite : de même que les Nazis traquaient le Juif et planifiaient son extermination, les Visiteurs éliminent l’un après l’autre les chercheurs de renom – ou tentent de les «convertir» (le terme n’a pas été choisi par hasard) à leur cause, par un lavage de cerveau radical. La comparaison est d’autant plus parlante que la communauté juive, de par certaines de ses traditions culturelles et comportementales – telles que le questionnement systématique du fait admis, la remise en cause des acquis culturels ou du savoir, cette sorte de “culte” de l’étude – est surreprésentée dans les sphères de la connaissance scientifique. Eliminer l’élite scientifique : chercheurs, médecins, biologistes… c’est frapper de prime abord la communauté juive – évidence revendiquée par l’auteur, ne serait-ce que par le biais des consonances et du jeu des références : Juliet Parrish, Robert Maxwell, etc.


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Et comme si cette abondance de signes ne suffisait pas à la compréhension du téléspectateur, le personnage d’Abraham Bernstein – patriarche de la famille voisine des Maxwell – assène à son fils un discours sur la Mémoire, construit sur la révélation du sort réel de son épouse disparue dans les camps nazis, et destiné à éclairer ce fils, un instant aveuglé par l’ignorance, quant à la nécessité de l’engagement aux côtés des Maxwell – engagement se traduisant par l’obligation morale de les cacher: “Si nous ne le faisions pas, alors tout cela n’aurait servi à rien puisque nous n’aurions rien compris!”


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Si le mot “Culture” provoquait la réaction que l’on sait chez le ministre de la propagande nazie, si les livres des auteurs “cosmopolites” (comprendre “non-nationaux” ou, plus précisément, “non-aryens”) servaient à illuminer les nuits berlinoises de gigantesques bûchers, c’est le mot “biologie” qui incite les Visiteurs à “dégainer”, et ce sont certains travaux ou dossiers scientifiques qui commencent à disparaître des archives et bibliothèques, avant que leurs auteurs ne soient nommément désignés comme les instigateurs d’un complot international – moderne version para-oïaque du supposé complot judéo-maçonnique. Les savants sont accusés d’avoir caché et détourné à leur seul profit d’importantes découvertes : par exemple des remèdes contre des maladies incurables et mortelles. Les Visiteurs vont mettre bon ordre à tout cela et remettre au peuple ce qui lui revient de droit… mais plus tard : il faut d’abord s’emparer des conspirateurs.


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L’adversaire le plus redoutable de tout régime dictatorial est la connaissance. C’est pour cette raison que les Nazis brûlaient les livres “non conformes” – comme ces pompiers chargés de détruire toute trace d’écrit dans le roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury – tandis que les Staliniens, à chaque nouvelle “réécriture” de leur histoire, prenaient le plus grand soin à faire disparaître toutes les éditions antérieures des manuels d’histoire, d’économie, de géographie… La connaissance, en cela qu’elle donne l’image la plus proche de la vérité, est l’arme la plus puissante et la plus précieuse des résistants – les hommes-livres de Bradbury s’emploient donc à mémoriser ce qui ne peut être sauvegardé concrètement. La connaissance est condition essentielle, primordiale de la liberté, de la démocratie, de l’auto-détermination. La bibliothèque, symbole de la conservation de la connaissance, est donc un motif récurrent dans la Science-Fiction littéraire ou télévisuelle : lieu de passage obligé pour le héros Asimovien en quête d’informations (Tyrann, Les courants de l’espace, Fondation … ), lieu de révélation sur la véritable nature de l’univers dans The Overman Culture d’Edmond Cooper, lieu de réunion pour les opposants dans Soleil Vert, lieu de refuge pour les fuyards de l’Age du Cristal, lieu où survit la mémoire d’une civilisation dans… d’innombrables récits ! Lieu célébré par de nombreux écrivains et objet/sujet de plusieurs anthologies!
Les deux mini-séries – puis la série à proprement parler – multiplient à l’envi les signes validant la pertinence de la métaphore.


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Les Visiteurs prennent des otages et menacent de les fusiller si tel responsable ne se livre pas . une milice constituée de jeunes sympathisants est organisée sur le modèle des mouvements de jeunesse nazie, ses membres vont jusqu’à espionner et dénoncer leurs propres parents; des camps d’internement sont créés; des “expériences” sont menés sur les humains – la “conversion” bien entendu, qui permet entre autres de mesurer la résistance des humains, mais aussi une tentative «sur ordre” de croisement entre les deux espèces; la police collabore avec l’occupant – tout comme la police française de Vichy, soucieuse de flatter l’occupant, organisa les rafles et poussa le zèle bien au-delà des demandes allemandes; l’être humain est rabaissé a la somme de ses composants organiques : de même que les Nazis “récupéraient” dents en or, cheveux, os… les Visiteurs ne voient en définitive dans la race humaine qu’une réserve de protéines. On trouve là une assez surprenante illustration, au premier degré, de la formule de Staline : “L’antisémitisme est un cannibalisme” ; peu après, le petit père des peuples (dépeuplés) intégra avec profit ce cannibalisme dans ses méthodes politiques.
Pour clore l’énumération des détails non fortuits et autres signes architecturant la métaphore, interrogeons-nous sur la présence dans les premières images du générique de présentation, du visage et du nom d’un certain Tommy Peterson. Ce jeune acteur est totalement inconnu – l’absence de son nom dans l’index du Complete Directory to Prime Time Network TV Shows, indique qu’il ne fut de la distribution régulière d’aucune série, il n’est pas plus utile de le chercher dans des “Who’s Who” des (grandes et moins grandes) figures de l’écran comme The TV Encyclopedia, ouvrages faisant référence et servant à l’occasion d’utiles baromètres de célébrité ! Quant au personnage qu’il incarne, à première vue il paraît insignifiant : Josh Brooks est un camarade de classe du fils de Mike Donovan, Sean ; celui-ci vit avec sa mère dans Monrovia, une petite ville située près de Los Angeles. Que vaut donc à Tommy Peterson l’honneur d’être présenté au générique, intégré dans le petit groupe des “stars” (comédiens connus et / ou rôles de premier plan) ? La réponse réside peut-être dans la valeur symbolique et constructrice du rôle : craignant pour la vie de son fils et de son ex-femme, Donovan se propose de les mettre à l’abri. Mais l’occupant l’a devancé et la ville est déserte – à l’exception de Josh, seul survivant, qui explique que les Visiteurs ont emmené tout le monde. La recherche de Sean – et partant la quête de la vérité quant au sort des habitants – sera désormais la préoccupation première de Donovan et le conduira à découvrir que les Visiteurs sont des mangeurs d’hommes.
Interrogé sur cet épisode, Kenneth Johnson fera référence à un acte semblable perpétré par les forces allemandes, contre la population d’un village français, exécutée en représailles d’un attentat contre un gradé de l’armée d’occupation.
Le “message” ne pouvait être asséné avec davantage de force!
Cela étant, une seconde mise en perspective historique est également suggérée par Kenneth Johnson – mais elle n’est perceptible qu’au prix d’un décryptage esthétique, et pour autant que le téléspectateur se souvienne avec précision de la séquence d’ouverture de la première mini-série.
La scène se passe au Salvador, dans un village tenu par la guérilla. Donovan et son assistant interviewent le chef des guérilleros lorsqu’un hélicoptère – non identifié mais piloté par des blancs (des “conseillers américains” ?) – surgit et ouvre le feu sur la population qui, affolée, cherche à s’enfuir au milieu des explosions. N’écoutant que son courage, le chef guérillero se poste au centre de la place du village et, pistolet au poing, fait face à l’hélicoptère qui plonge dans sa direction, faisant feu de ses mitrailleuses. Insensible à la grêle de métal qui pleut autour de lui, l’homme ajuste sa cible et parvient à toucher l’hélicoptère qui s’abat en flammes!




Cette moderne interprétation de la lutte à mort entre David et Goliath est rejouée en scène finale de la première mini-série. Alors que les Visiteurs pilonnent de leurs armes redoutables le “camp de la montagne” où se cache la Résistance, Julie, qui vit la scène comme au ralenti, aperçoit soudain Josh – seconde apparition d’un personnage décidément “catalyseur” – qui appelle à l’aide. Elle surmonte sa peur et, armée d’une simple arme de poing, se plante au centre du camp et attend de pied ferme la navette de Diana qui fonce vers elle, faisant feu de ses lasers. Le pistolet de Julie ne peut rien contre un monstre technologique doté d’une puissance de feu sans commune mesure; Diana ordonne un second passage: “Je veux qu’on tue cette fille !”. Si la scène sert bien de contre-point à la séquence d’ouverture, le dénouement en est toutefois sensiblement différent : l’arrivée de la navette dérobée par Donovan transforme en un duel aérien ce qui ne pouvait tourner qu’à l’exécution pure et simple. Les rôles se renversent d’ailleurs complètement : dans le prégénérique, Donovan, traqué par l’hélicoptère américain, est sauvé in extremis par l’arrivée d’un vaisseau-mère – dans cette séquence qui est à la fois un des “climax” de la première mini-série et l’annonce de la conclusion (provisoire) du “premier round”, les rôles se renversent : le gibier Donovan sauvé par l’arrivée des Visiteurs devient chasseur de Visiteurs ; avec cette morale étonnante : c’est parce que la Résistance – à travers son chef Julie – montre le même courage, la même détermination, à combattre l’envahisseur extraterrestre que la Guérilla – à travers son chef – en montrait à repousser les troupes américaines (mercenaires, CIA … ) au Salvador, que David parvient à repousser Goliath.




Cette assimilation de l’ingérence américaine en Amérique Latine à l’invasion des Visiteurs éclaire singulièrement les déclarations de Kenneth Johnson sur la “montée [observée depuis quelques années] d’éléments fascistes aux Etats-Unis”. La mini-série V est diffusée en mai 1983, l’année même où l’administration Reagan lance officiellement le programme “Guerre des Etoiles” et où, illustration de la politique ultra-interventionniste de la Maison Blanche, les troupes américaines interviennent militairement à la Grenade. La mini-série sera rediffusée en août 1984, moins de quatre mois avant la réélection triomphale de Ronald Reagan.
A ma connaissance, cette interprétation “alternative” n’a jamais été notée par les commentateurs et critique de la série. Peut-être fallait-il le recul d’un Européen pour décrypter l’expression de cet engagement politique de l’auteur – il est vrai dissimulé avec efficacité (si ce n’est avec subtilité) par l’assimilation immédiate (et parfois pesante) Visiteurs / Nazis.

Les séries TV au même titre que toute production populaire, n’échappent que rarement a la tentation manichéene: Les bons y sont vraiment bons, tandis que les méchants s’y révèlent encore plus méchant que prévu !
Dans une assez large mesure, les créateurs de V ont évité cette opposition réductrice entre les divers groupes de personnages. Les Visiteurs sont présentés comme une peuple opprimé, soumis à la volonté d’un dictateur. Une cinquième colonne – véritable résistance intérieure – s’est organisée à bord des vaisseaux; sur Terre, certains Visiteurs comme Willie luttent, sans état d’âme, aux côtés de la Résistance.
Traîtres ou héros ?
C’est une question de point de vue: sur le fond, l’attitude de Willie (un Visiteur passé du côté des terriens) est de même nature que celle de la mère de Donovan (une terrienne collaborant sans réserve avec les Visiteurs). Tout au plus peut-on objecter qu’il est moralement justifiable de «trahir» son propre peuple (sa propre race) au profit des opprimés, des faibles, des agressés, d’un autre peuple (d’une autre race); alors que se ranger du côté du plus fort par appât du gain est moralement condamnable. Peut-être. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit tout de même d’une question de point de vue: toute action, tout positionnement est jugé en fonction de la morale de l’un des camps, des valeurs considérées comme positives par un camp, négatives par l’autre.
Photo : V : LA SERIE TV (VOLUME 1)
Il ne fait pas de doute que tout téléspectateur peut s’identifier, d’une manière ou d’une autre et parfois contradictoirement à son voisin de palier, à l’un des personnages de la série.
L’attitude de certains personnages est encore plus complexe et dépasse l’opposition collaboration/résistance. Quel jugement porter, par exemple, sur Nathan Bates ? Les relations qu’il entretient avec les Visiteurs – un mélange de collaboration et d’opposition, au gré de l’évolution des rapports de force – ne servent qu’à assurer sa position personnelle. Brisant cette dialectique de l’indécision, Bates retrouve toutefois son humanité lorsque la vie de son fils est en danger.
Le manichéisme est pourtant bel et bien présent dans V – sa totale absence serait difficilement acceptable ! Après tout, le téléspectateur prend un réel plaisir à haïr le «méchant total» ! Ainsi en va-t-il du personnage de Diana – à l’origine un intervenant très secondaire avec seulement cinq apparitions dans la première mini-série, avant de devenir un des rôles essentiels de la série, Jane Badler est excellente, son jeu est parfait dans ce rôle difficile qui exige de l’autorité est une grande confiance en soi, qui doit être l’expression d’une conviction de puissance.

Mamaaaaaaaaaaaaan
Mamaaaaaaaaaaaaan
Avec son look de dévoreuse d’homme – au propre comme au figuré – Diana offre une nouvelle image de la femme dans les séries TV …
V est la première série de SF dont les effets spéciaux sont du niveau de qualité de ceux des productions cinématographiques. C’est cette première évidence qui frappe le téléspectateur. Avant V, seul des films à très gros budget pouvaient prétendre à des effets spéciaux spectaculaires et crédibles – et ce parce qu’il fallait des millions de dollars pour financer des réalisations nécessitant par ailleurs plusieurs années de travail. De l’argent et du temps : deux ingrédients inconnus des producteurs de séries TV.Et pourtant, toute la panoplie des «incontournables» est mise à contribution dans la série : colossales soucoupes volantes stationnaires ou animées, course-poursuite entre des navettes spatiales, décors high-tech et futuristes, vastes complexes industriels, combats au laser, explosions en tout genre ! Sans compter ce formidable plan montrant la flotte des Visiteurs en embuscade derrière la Lune, séquence d’ouverture des épisodes de la série régulière.Comment tout cela fut-il possible en un temps de réalisation limité et sur des budgets sans commune mesure avec ceux de superproductions comme la Guerre des Etoiles ou Galactica ?

Je resterai Ta Meilleure Amie !
Je resterai Ta Meilleure Amie !
La réponse tient pour l’essentiel en deux noms : David Stipes et Richard Bennett, respectivement directeur de la photographie et directeur des effets spéciaux – tandem qui travailla avec Spielberg (sur Rencontre du Troisième type) auquel il conviendra d’ajouter Robert Bailey, directeur des effets visuels et Marc Kolodziejczyk, modeleur de la Lune utilisée dans la séquence évoquée plus haut, et Dale Fay, constructeur de la flotte des vaisseaux mères. Les techniques utilisées pour réaliser les effets visuels de la série sont souvent simples – donc peu coûteuses – mais d’une totale efficacité, tel ces «masques» de contrôle de contraste qui furent réalisés pour produire des épreuves à faible contraste, condition essentielle pour autoriser une composition de qualité en rétro projection. Du côté des techniques plus «sophistiquées» – au moins dans leur conception intellectuelle – voici par exemple comment il est possible de faire évoluer une navette spatiale dans un véritable décor : 1. une maquette de la navette est réalisée, fixée sur un support puis filmée sur un fond noir par une caméra en mouvement, équipée d’une pellicule couleurs normale. 2. la maquette est peinte en blanc, puis filmée à nouveau par une caméra suivant le même mouvement, équipée cette fois d’un film noir et blanc à fort contraste (type Eastman 5369). Ce film est développé. 3. le premier film – qui n’a pas été développé – et le négatif du second film, sont superposés et rechargés dans une caméra. La maquette est donc protégée par un «écran noir» d’un seconde exposition. 4. le décor est maintenant filmé puis la pellicule est développée. Cette technique de montage à l’intérieur de la caméra donne des résultats d’une qualité maximale et contribue à la grande crédibilité esthétique de la série. La technique n’est cependant pas tout : le soin apporté à la réalisation des maquettes et des décors est également un élément remarquable de V.
Le grand armateur de la flotte des soucoupes volantes a pour nom Dale Fay. Six vaisseaux furent d’abord construits, le plus petit faisant 7,5 cm. de diamètre, le plus grand dépassant les 30 cm. de diamètre. Une septième maquette de 75 cm. de diamètre compléta l’armada pour les prises de vaisseau en fond de décor. Pour la scène du générique d’ouverture de la série régulière, un grande toile de 2,5 sur 4,5 m. fut constellée de poussière d’aluminium, et ornée d’une authentique photo de la Terre de 25 cm., fournie par la NASA. Cette dernière fut également mise à contribution en fournissant des cartes et des photos, lors de la réalisation de la lune d’un mètre de diamètre, peinte et sculptée par Marc Kolodziejczyk sur une demi-sphère de plexiglas. Au registre des trucages et autres effets visuels, il faudrait encore citer l’impressionnante scène de la conversion de Julie, pour laquelle un python de huit mètre fut engagé ! Approche grand public, personnages travaillés et acteurs talentueux, effets spéciaux impressionnants … autant de clés pour tenter de comprendre le succès d’une série qui, n’en doutons pas, restera parmi les classiques du genre.

Les Daft Punk Venus d'ailleurs *O*
Les Daft Punk Venus d’ailleurs *O*

Nombreuses sont les références et allusion à la science fiction littéraire, télévisuelle, cinématographique ou même picturale, qui colorent la série V. A ce titre, mais également pour son esthétique faussement néo-classique ou les motifs ultra référencés de ses scénarios, elle annonce la grande vague post-moderne qui s’est abattue sur la télévision américaineau tournant de la décennie : citons pour exemple quelques séries – phares – voire déjà qualifiées de “cultes” – comme Dream On, Eerie Indiana (ce générique !) ou Flash – cette dernière série étant probablement la plus “cryptée” des productions récentes, rien n’y étant livré au téléspectateur qui ne soit lourdement chargé d’un sens (plus ou moins bien) caché, on ne s’étonnera pas qu’un des épisodes, “Fast Forward”, soit un hommage appuyé à V!
Références littéraires : lorsque les premiers vaisseaux-mères s’immobilisent à la verticale des mégalopoles terriennes, ce sont des “spécialistes” de la question qui viennent commenter les événements dans les journaux télévisés – vu la situation, les spécialistes en question ne peuvent être que… des écrivains de Science-Fiction ! Ce sont Ray Bradbury et Arthur Clarke qui sont donc conviés par la presse à rassurer les téléspectateurs. Ce dernier est d’ailleurs le bien venu – l’arrivée des vaisseaux-mères des Visiteurs n’est pas sans rappeler au lecteur de SF averti son beau roman Les Enfants d’Icare (Childhoods End, 1954).



Diana Qu'tu y est belle !
Diana Qu’tu y est belle !
 
Références cinématographiques : contentons-nous de faire remarquer que les vaisseaux des nouveaux arrivants sont directement inspirés du célèbre film de Fred F. Sears Les soucoupes volantes attaquent (Earth vs. the Flying Saucers, 1956) ; et amusons-nous de ce savoureux clin d’œil : les Visiteurs prenant possession d’une usine sont accueillis par une fanfare qui interprète le thème principal du film de George Lucas Star Wars!
Références graphiques ou picturales : ces mêmes vaisseaux-mères ont été maintes fois mis en scène par des peintres de SF – citons le formidable Alex Schomburg pour ses nombreuses couvertures “ovniesques” – ou des illustrateurs de BD comme le trop méconnu Alden McWilliams, créateur de l’un des strips de SF les plus importants de l’Age d’Or
du genre Terres jumelles (Twin Earths, 1953).
Comme toutes les grandes séries de SF, V fait pleinement écho à la mythologie soucoupiste. Cette relation est certes moins évidente que dans Les Envahisseurs – où plusieurs “affaires” classiques sont directement réinterprétées par les scénaristes – ou dans UFO – dont le premier épisode est un exposé complet du mythe abductionniste. Un téléspectateur attentif trouvera toutefois son compte d’allusions et de références directes telle l’incontournable défaillance de l’équipement électrique à l’approche d’un vaisseau-mère.


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Série de SF autant que sur la SF, création autant que recréation, inventaire “ufologique” et contribution à l’élaboration d’un mythe moderne, V aborde également les domaines de la religiosité et du mysticisme, Qui s’en étonnera ? La SF est une littérature résolument messianique!
Elizabeth est née d’une femme vierge de la Terre et d’un être d’une essence différente. Fille et non garçon, Elizabeth est une image inversée du Christ . elle n’a pas été “annoncée” par un ange mais fécondée par un démon. Les Visiteurs sont en effet des reptiles – au même titre que le serpent tentateur (démon incarné) qui a conduit Eve à goûter au fruit de l’arbre de la connaissance. Le parallèle avec le roman de Clarke Les enfants d’Icare s’impose à nouveau – même si les ET qui y apparaissent sont bienveillants, ils sont à l’image “populaire” du démon (puisqu’à l’origine de cette image) et leur intervention condamne l’humanité sous sa forme actuelle.
Image inversée du Christ, Elizabeth n’en est pas pour autant l’Anté-Christ. Alors qu’elle ressemble aux humains son frère jumeau est un reptile à l’image des Visiteurs – donc du mal. La mort de ce double maléfique purifie l’enfant stellaire et contribue, sur le plan de la métaphore, à faire d’elle l’incarnation du bien. Et ce, tant du point de vue des humains que de celui des Visiteurs : Elizabeth porte la marque de Zon, principe positif de l’univers dans la cosmogonie des Visiteurs, analogue à la Force dans Star Wars. Les tenants de cette religion sont d’ailleurs persécutés par le pouvoir en place : un épisode montre l’un des disciples de Zon livré aux redoutables crivits, ce qui ne manque pas d’évoquer le sort des premiers Chrétiens livrés aux lions.
Poursuivons dans l’analogie christique en faisant remarquer qu’Elizabeth est explicitement l’élue et qu’elle connaît, elle aussi, une métaphore de la mort. A l’abri dans une caverne (symbolisant le tombeau mais également l’utérus), elle renaît à la vie en étant “transfigurée” : de même que les disciples ne reconnaissaient pas le Christ revenu d’entre les morts, ses amis ne reconnaissent pas l’enfant stellaire devenue une femme adulte.
Ce jeu constant des références est une des grandes forces de la série V. Le téléspectateur peut se contenter de “consommer” les épisodes comme des aventures mouvementées, élaborées à partir de scénarios comme seuls les scénaristes d’Hollywood sont capables d’en livrer! Mais il lui est également possible, s’il le souhaite, de prendre un certain recul et de tenter de décrypter ce qui lui est proposé – d’autant que les pistes sont nombreuses et les interprétations multiples. Autant le dire : rares sont les oeuvres de création qui accordent aux “consommateurs” une telle liberté dans leur approche.
Du point de vue historique, le parallèle entre les Visiteurs et les nazis n’est pas le seul qui soit pertinent. Il serait également possible de dresser un inventaire des motifs empruntés à la Rome antique : les dissidents religieux sont jetés en pâture à des animaux sauvages, un empereur détient le pouvoir politique et le pouvoir religieux, des “légions” sillonnent la galaxie et prennent possession des planètes exploitables.

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